Cela fait un mois et demi que nous avons quitté « le Nord » à bord de notre Zéphyr ambulant. Notre départ s’est fait sous un hiver pluvieux et neigeux. Ce n’étaient pas vraiment ce que nous souhaitions pour démarrer cette aventure mais ça nous a d’emblée permis de tester notre camion et nos aménagements aux conditions les plus difficiles, celles du froid et de l’humidité. Globalement un succès !

La neige, c’est clairement une plaine de jeu géante. On s’y est amusés comme des petits fous et on a vite installé des cordes au plafond de notre camion pour y suspendre les combi trempées !

La pluie, le froid, l’humidité ambiante, c’est moins drôle, moins divertissant. On a tendance à rester plus enfermés, à chercher la chaleur et des occupations plus casanières… Voilà pourquoi, après les Vosges, nous ne nous sommes pas éternisés dans le Nord de la France, pas même en Bretagne. Notre mot d’ordre était d’aller chercher le soleil dans le Sud.

Il faut dire qu’il nous a fallu du temps pour nous acclimater. Quitter tous ses copains, pour Goran, ce n’est pas anodin. Pour nous non plus d’ailleurs. Et la pluie, le temps maussade a le don de rappeler au cœur ce qui le chagrine. Dans cet espace clos qui est le nôtre, les humeurs et frustrations de chacun pèsent d’autant plus sur les autres, nous obligeant à nous extraire quand c’en est trop… Et surtout à être davantage à l’écoute de nos besoins pour éviter le point de non retour. Ah, y’a pas à dire, voyager dans ces conditions nous fait prendre conscience de pas mal de choses ! Pour ma part, je n’avais encore jamais réalisé que ma bonne humeur – et donc aussi la mauvaise – étaient si intimement corrélées aux degrés d’ensoleillement de la journée. Voilà qui vous explique aussi pourquoi nous traçons vers le sud ;-).

Prendre le temps d’observer grandir Goran est un vrai régal. Certes, il a, à certaines occasions, transformé le cadre d’une belle balade familiale en un chemin de croix. Au début, j’ai personnellement pris peur, anticipant qu’à chaque activité que nous, parents, aurions envie de réaliser, nous devrions luter contre le manque de motivation de notre enfant, ses envies contradictoires et son entêtement. En fait, ces moments plus difficiles étaient des phases d’ajustement où chacun de nous était avec son lot de peines, de peurs, de frustrations,… et comme des abcès bien mûrs, ils devaient éclater (excusez l’image pourtant si parlante) ! Il a fallu que Goran sente qu’il pouvait nous exprimer à quel point ses copains lui manquent, et qu’il puisse entendre qu’il n’est pas le seul dans ce cas. Nous, parents, avons dù faire le deuil de certains idéaux que nous avions projetés sur ce voyage, pour nous rappeler que notre aventure est avant tout familiale. Depuis que ces ajustements ont eu lieu, nous nous sentons davantage en vacances et dans le plaisir d’être ensemble. Nous accompagnons un Goran enjoué, curieux, sensible à la beauté, créatif dans ses jeux… Nous le découvrons aussi cuisinier, cycliste et footballeur nudiste !

Quant aux « enseignements pédagogiques », ils se font sur le tas, avec ce que notre quotidien nous amène : le fait de partager une pomme en trois quarts et un tiers de quart pour chacun, celui de s’interroger sur la manière dont les vagues se forment ou encore de vouloir lire une recette de cuisine… Quentin et moi-même aimons beaucoup répondre aux demandes spontanées de Goran ou amener des sujets de questionnement, même si nous devons parfois nous réfréner pour nous adapter à ses six ans et aux besoins qui en découlent et dont la grande majorité ne sont pas intellectuels : jouer, vivre dans son corps et dans ses sens, jouer, ressentir les éléments, jouer, aimer et se sentir aimer… et sans doute encore jouer ! Nous réalisons aujourd’hui intensément la chance que nous avons d’avoir pu mener à bien ce projet de vie itinérante et de pouvoir faire de notre famille une priorité.

Quant au fait de vivre dans un camion aménagé… C’est un rêve éveillé! Notre maison est partout avec nous. Où que nous nous trouvions, quelque soit le charme du lieu dans lequel nous nous posons, nous avons toujours notre lit bien douillet que nous ne devons pas faire et défaire chaque jour. Bien sûr, ça reste un plus de se faire bercer par les vagues et de se réveiller face à la mer, ce qui est souvent le cas.

J’ai beaucoup moins d’habits et me prends donc beaucoup moins la tête pour m’habiller le matin. Nos réflexes d’hygiène et d’intimité se sont adaptés également mais dans une écoute des besoins de chacun. Trouver de l’eau est jusqu’à présent assez facile et gratuit : principalement aux cimetières et parfois à des pompes à essence. Vider nos eaux usées aussi, qui ne sont que des eaux grises puisque nos toilettes sont sèches (à copeaux). Pour vider ces dernières, nous veillons à les enterrer en nature et assez en surface pour qu’elles se décomposent au mieux sans entacher le paysage, contrairement à tous ces petits mouchoirs que l’on retrouve derrière les buissons aux abords des plages… Voilà bien quelque chose qui nous a choqués autant que révoltés aux abords des plages depuis la Bretagne jusqu’à la côte espagnole : les déchets qui y gisent en pagaille. Il y a d’abord ceux qui sont ramenés par la mer. En Bretagne et à l’île de Ré, les autorités ont carrément installé des « bacs à marée » à l’intention des promeneurs afin qu’ils y déposent tous les déchets rendus par les marées hautes. Et puis il y a les déchets déposés par les promeneurs et autres détraqueurs de lieux publics. Ce phénomène, nous l’observons particulièrement depuis que nous sommes en Espagne. A la manière d’un expert à Manhattan, on peut reconstituer toute une scène de crime à partir de mégots, paquets de chips, bouteilles de bière ou de vodka, canettes de soda et autres emballages nous précisant qui, quand, comment et pourquoi… Si bien qu’après avoir rencontré Cécile, une voyageuse lyonnaise, mère de trois enfants, en train de faire le ménage sur la plaine de jeu où jouait son petit dernier, il nous a semblé tellement évident de faire de même. Désormais, partout où nous nous installerons, nous y restaurerons la nature, la nettoyant de ces insultes. C’est peu par rapport à la masse de déchets qui la souillent (c’était impressionnant de voir la quantité de choses que peut ramener une marée) et c’est vite fait. Mais ça nous permet, au mieux, de contribuer à certains changements de mentalité et, à tout le moins, de limiter les dégâts et de transformer notre colère en énergie positive. Et ça, non di d’jou qu’ça fait du bien !


Enfin, être mobile c’est avoir chaque jour la possibilité de partir ou de rester.

Au début, l’optique était claire : rouler vers le Sud. Il y a d’abord eu l’El Dorado de l’Espagne. Puis l’Espagne a officiellement renforcé ses mesures sanitaires. Notre boussole a alors pointé vers l’Est : l’Italie, dont nous avions entendu qu’elle était plus accueillante. Mais quelque chose en nous était plus fort que la rumeur menaçante. Nous avons, au travers des réseaux sociaux, questionné des voyageurs en Espagne afin de percevoir la possibilité d’y circuler et ils se sont tous montrés rassurants. Le jour de notre traversée de la frontière franco-espagnole, nous n’étions quand-même pas rassurés. Officiellement, nous n’avions aucune raison « légitime » d’y pénétrer et la Catalogne était fermée à toute circulation non indispensable. Les amendes étaient annoncées salées. Nous n’avons eu aucun contrôle à aucune frontière. Ni étatique, ni régionale pour passer de la Catalogne à la communauté de Valencia. Le seul contact avec la guardia civil que nous avons récemment eu était assez cocasse. Ils nous ont simplement demandé de détacher notre bâche auvent car « no se puede a campar » et ça faisait sans doute trop campement à leur goût. Aucune question sur nos motifs de voyage. D'ailleurs, plus nous descendons dans le sud, plus nous rencontrons des campings-cars et autres camions aménagés… nous ne sommes donc pas les seuls à voyager malgré le climat.

Car ici comme ailleurs, le climat n’est pas à la fête. Tout le monde est masqué, même en balade seul sur la plage, même en jogging ! Les plaines de jeux sont fermées, ainsi que les musées et autres attractions culturelles ou sportives. Les restaurants sont soit fermés soit convertis au take-away. Les quelques voyageurs remontant d’Andalousie que nous avons croisés nous ont dit que la vie y était plus animée, avec des restaurants ouverts, mais également des musées et plaines de jeux. Et forcément aussi plus de voyageurs qui viennent y chercher, en plus des degrés, la convivialité qu’ils ne trouvent plus ailleurs…

Il y a donc toujours plus au Sud que le Sud et il y aura toujours un ailleurs qui pourrait être meilleur.

Ce voyage me renvoie plus que jamais à ma course effrénée après un rêve qui n’est jamais rencontré et qui en appelle toujours d’autres… des chimères. Je me réjouis de l’école que m’offre notre voyage pour apprendre à accueillir tout ce qui est là, en ce compris les nuages, le manque, le vide parfois, mais jamais longtemps quand je prends le temps de m’y installer.

Prendre le temps de me poser dans un lieu qui ne répond pas à toutes mes attentes et sans savoir ce qu’on va bien pouvoir y faire… c’est là que tout démarre !